Simultan

Une clope après l'amour

Aus Simultan

Extrait du journal intime de Thomas – 22 août 2010

Elle avait un visage en forme de cœur, des lèvres purpurines… Je réalise maintenant à quel point elle est belle, alors que je ne l’avais même pas remarquée pour cette raison. En fait, c’est son accent qui m’avait fasciné, un accent un peu nordique (j’ai appris dans la conversation qu’elle venait du Danemark). Au début, ça avait véritablement été une voix, rien qu’une voix, et c’est cette voix que j’avais voulu… Posséder.

Ce n’est pas vraiment que je sois obsédé, ou plutôt mon obsession ne se porte pas véritablement sur les femmes ou le sexe mais simplement sur ce petit quelque chose qui les différencie… Je suis obsédé par ce mystère qui fait que toutes les femmes – tous les êtres en fait – sont pratiquement (à 99% je dirais) semblables… En fait, c’est le 1% qui reste qui m’obsède. Ce 1% qui fait que chaque individu est unique… Je crois que je fais l’amour avec elles simplement pour ça, pour ce petit pourcent, pour le saisir, le comprendre ne serait-ce qu’un seul instant…

En fait, j’ai fait l’amour avec elle à cause de sa voix, beaucoup plus à cause de sa voix qu’à cause de son physique. Mais quand j’y repense, oui, elle était belle, avec sa grande silhouette élancée, ses cheveux noirs et longs tombant délicatement sur ses épaules, ses yeux d’ambre…

Je l’ai rencontrée à un bar. Je me rappelle que j’ai fait une blague un peu nulle pour engager la conversation, mais elle n’avait pas l’air trop outrée, presque amusée qu’un type lui parle – je me disais qu’elle devait avoir l’habitude, mais peut-être que non. Bon sang, comment s’appelait-elle ? Je me souviens parfaitement de sa voix et de chaque détail de son visage, mais je demeure incapable de me rappeler son nom…

Ça fait une semaine… Je ne l’ai pas rappelée. En fait je n’avais jamais eu l’intention de la rappeler, j’aurais dû le lui dire, mais je n’ai pas osé, je voulais la protéger, du moins c’est ce que j’essayais de me persuader, car en réalité je cherchais simplement à me protéger, moi, à me donner l’opportunité de fuir dans l’ombre, comme d’habitude.

Au fond, je suis lâche. Peut-être que c’est par lâcheté que je couche avec autant de femmes. Le plus fou, c’est que je me dis qu’un tas d’hommes doivent m’envier, mais c’est parce qu’ils ne savent pas… Moi, c’est eux que j’envie, ceux qui réussisse à en choisir une, à aimer, à fixer tout leur amour sur une seule et à être heureux avec… Suis-je incapable d’aimer vraiment ?

Et pourtant, je les aime, à chaque fois, j’en ai l’impression, lorsque nos deux corps ne forment plus qu’un, que je sens sa respiration, sa façon bien particulière à elle de respirer, de gémir, les mots qu’elle prononce ou ceux qu’elle ne prononce pas… C’est surtout l’instant après l’amour qui est le plus fort, surtout celui-là que j’aime vraiment… Souvent – presque toujours, sauf si elle refuse – j’allume une cigarette, et j’ouvre la fenêtre. Je reste debout, devant, tout nu, mais je n’ai pas froid, et je regarde la nuit… Parfois, je sens le regard de la fille posé sur moi, alors je me retourne, et je l’observe à mon tour… Je ne sais jamais vraiment combien de temps dure cet échange d’yeux, mais à chaque fois il me fascine et j’ai la sensation que je pleure, que des larmes coulent, c’est… Comme si l’on faisait encore une fois l’amour, différemment.

Et puis l’un des deux tourne le regard, la plupart du temps c’est elle, et je me sens presque trahi, je sais que c’est ridicule, qu’elle ne peut certainement pas le comprendre. Je ne me comprends pas moi-même… Mais je sais que je ne peux pas faire l’amour avec une femme une deuxième fois – les rares fois où c’est arrivé je me sentais mal à l’aise, c’était étrange, je n’éprouvais plus de plaisir… L’intensité du contact charnel ne se reproduit jamais à l’identique, et cela me trouble, je me sens perdu, et terriblement seul.

Je n’aime pas me sentir seul lorsque l’autre est en moi.