Simultan
En ville
Aus Simultan
Devant la vitrine de la bouquinerie de la rue des Maréchaux, le regard de Bourriez se perd dans les paysages photographiés. Il aurait aimé jeter un coup d'oeil à l'intérieur, mais le magasin n'est pas encore ouvert. De vielles photos du Canada l'attirent. La main dans la poche écrase une feuille d'érable. Le Canada, les grands espaces, un jour, tout laisser tomber, partir, ma cabane au, la chasse à l'orinial, le bonnet des trapeurs, il sort la main pour balyer l'idée, un jour, oui. A force de ne pas bouger, à force de se perdre dans les plaines ennneigées outre atlantique, Bourriez sent le froid le prendre pas en-dessous, comme le serpent entre les jambes d'Eve, première trahison, une semaine que Martinette ne me parle plus, et pas moyen de vider les nerfs, les nuits sur le sofa, mieux vaut ne pas trop penser à ça.
Il fait un mouvement descend la rue du Collège, beaucoup de voitures ce matin, s'arrête au kiosque pour acheter un timbre.
- Bonjour, Madame, avez-vous des timbres?
- Un timbre à un franc?
- Oui, volontiers.
Colle le timbre sur l'enveloppe, au revoir, se rappelle d'un truc au sujet du timbre, dans Joyce, qui disait, le "timbre: image au derrière collant", plus besoin de leur lécher le derrière aujourd'hui, glue déjà, avant même d'y avoir fourré la langue, Bourriez marche pensivement, le souvenir du goût d'amidon dans la bouche, Va poster cette lettre fiston!, il s'arrête chez Lüthy, pourquoi pas, il fait froid, rien de mieux à faire, pourrais trouver un truc sur Arno Schmidt, il entre dans la librairie, fais le signe cordial de reconnaissance, chauffeur poids-lourd, j'vais quand même pas me taper la route toute ma vie, flaire dans les rayons, renifle, met le nez contre un livre à l'odeur d'humus, l'automne est là : Schumanns Schatten de Peter Härtling, il revoit ce dingue de Schou, de Schou, de Schoumann, sauter par-dessus le parapet, en pleine nuit, ah douce et aimable griserie mélancolique folie, il cherche encore, aucune trace de Schmidt, sort du magasin.
Il glisse l'eveloppe dans la fente, qui était cette femme, bonnet rouge, cheveux longs, semble me dire quelque chose, l'avoir déjà vue, quelque part, Bourriez la regarde s'en aller d'un pas lest comme celui d'un enfant, une gamine, ou alors une artiste, l'image se décolle de lui, la jeune femme inconnue disparait au tourant, il hésite puis laisse tomber l'idée de la suivre, s'engouffre dans le dédale des rues, touche sa feuille d'érable, fera mon fil d'Ariane, marche au hasard en s'approchant du centre. L'enseigne "Magic X" lui saute à la gueule, comme la sensation de l'éclair dans le bas du ventre, le corps de Martinette apparait, puis disparait, clignote, toutes les mêmes de toute manière, pousse, bonjour, bonjour, silence, il desend à l'étage des vidéos, la naissance d'un désir impudique, et puis tout se ramollit.
Une affaire à suivre, soyez en certain. Je ne laisserai pas cette patte molle de Bourriez se déflier ainsi.