Simultan

Quand je suis arrivé à la gare

Aus Simultan

Quand je suis arrivé à la gare, il n’y avait personne. Il y avait une foule de gens, mais personne que je connaissais, personne ne m’attendait, personne n’était là pour m’accueillir. Pourtant on m’avait envoyé une photo, une image d’une jeune fille qui devait venir me chercher à la gare et m’accompagner d’abord à l’hôtel puis au musée. On m’avait invité pour une conférence au musée d’art et d’image contemporain sur les traces de la psychanalyse dans les œuvres d’art d’aujourd’hui. J’étais venu référer sur l’imposture d’une théorie vielle d’un siècle, sur sa tremperie, sa malfaisance et sa défaillance, et puis rien, personne, rien de plus qu’une foule agitante dans tous les sens, des trains et des bus et des taxis qui arrivent et qui partent, un torrent de corps, de membres et bagages, tous ces gens qui se laissent tirer et traîner par le courrant d’un mouvement de foule, tous ces gens qui, sous le prétexte d’un voyage, sont emmenés vers un destin incertain et plus que douteux. Et moi là au milieu, invité, venu et ne pas accueilli je prenais silencieusement mais très sereinement ma décision de reprendre mon prochain train de retour, tous mes arguments, explications et illustrations bien rangés dans ma petite valise, quand soudainement une feuille venant de je ne sais pas d’où vola à côté de moi comme un petit papillon dans l’air, se laissait pousser et faire trembler par les gens pressés et agités, pour après un vole sans but précis, se poser sur le sole à coté de mes pieds. Quand je me suis baissé pour sauver ce papier perdu sur le sole de la gare, je me suis tapé la tête contre la tête d’une autre personne qui se baissait en même temps que moi. Des touffes de cheveux brun claire me couvraient le visage, une odeur de shampoing ordinaire envahissait mon nez et provoquait immédiatement une avalanche de souvenirs datant de ma plus profonde enfance et quand je me suis sauvé de cette archive d’imagerie rassurant et effrayant à la fois, quand j’ai ressorti ma tête de ce bain de souvenirs intimes, je regardais tout droit dans les yeux d’une femme qui se frottait le front tout en s’excusant avec mille mots maladroits. Je me mettais à faire la même chose, comme une sorte de mimétisme et tout en m’excusant je devais constater que le papier en question se trouvait dans ma main gauche. J’avais gagné, j’étais le vainqueur, mais ça me mettait encore plus mal à l’aise. Et puis les choses se sont précipitées. Je lui tendais la feuille sur laquelle je voyais quelques mots écrits à la main. Elle me remerciait avec presque les mêmes mille mots qu’elle avait utilisés pour s’excuser. J’insistais à tirer la faute sur moi, je lui tendais toujours la feuille, finalement elle l’acceptait puis me la rendait pour ouvrir sons sac dans lequel elle avait l’intention de la mettre. Mais la fermeture du sac était coincée et puis je lui rendais la feuille et lui prenais le sac pour l’ouvrir. Une fois ouvert le sac, je lui rendais le sac et elle me rendait la feuille et ainsi on s’échangeait encore quelques fois comme si nous étions en négociations de quelques choses, une chose qui s’avérait deux heures plus tard la question à qui c’était de payer les cinq cafés, le grappa et le liqueur de framboise que nous avions bu entre temps. Trois jours plus tard c’était à moi de payer le dîner sur terrasse avec vue sur le lac pour ensuite lui céder le droit de choisir la couleur du mur du salon, des toilettes et de l’entrée de notre petit trois pièces sur cour intérieur loué à la va vite en septembre il y a 15 ans. Les négociations et l’échange des mots ne se sont plus jamais arrêtées. Tous les jours ils trouvent des nouveaux sujets.