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Pablo Jakob

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Version vom 8. Mai 2012, 21:02 Uhr von Admin (Diskussion | Beiträge)

Pablo Jakob


Konrad faisait partie de ceux qui m’avaient envoyé une carte. « Sincères condoléances ». Et quand je l’ai croisé au cinéma une semaine plus tard, il m’a demandé si je l’avais reçue. Ces situations sont embarrassantes. Tape sur l’épaule. Heureusement, tu es bien entouré. Je vivais seul. Non merci, Konrad. Tu n’as pas besoin de venir habiter chez moi, même pour quelques temps. Oui, j’ai une chambre de libre. Mais de sûr, ce n’est pas nécessaire. Mon patron m’a dit que je pouvais prendre une semaine de vacances. Qu’il trouverait quelqu’un pour me remplacer à la projection. Que le cinéma pouvait très bien se passer de moi. Ça vous fera du bien. Changez-vous les idées. Reposez-vous.

Le lendemain, mon patron s’est exclamé : « Qu’est-ce que vous faites là ? Je vous ai dit de prendre une semaine de congé ! » J’ai appelé Konrad. Aller boire un verre ? Non, je bosse moi. Tu devrais écouter le patron et te reposer. Je suis quand même allé boire un verre. Qu’est-ce que je vous sers ? Une bière. Trois francs cinquante, s’il vous plaît. C’était un bar tranquille. A deux minutes de chez moi. La serveuse était mignonne, tous les clients la draguaient. Je n’osais pas lui dire qu’elle était belle. Trois francs cinquante, s’il vous plaît. Elle me regardait avec pitié. Apparemment, elle savait. Le mec aux tatouages m’a montré du doigt. Mais ceux au bar ne se sont pas retournés. Ça faisait une semaine maintenant. Ma mère était morte en lavant ses fenêtres. Attaque cérébrale. Les cartes blanches, bouquet de roses noires sur la couverture. « Sincères condoléances ». Enterrement le mardi, quatorze heures. Porter le cercueil avec mon frère et deux autres inconnus. Prêtre à moitié endormi. Eglise à moitié vide L’impression qu’on parle plus de Dieu que de la défunte. « Rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ ». Et puis bénir le cercueil. Lui dire adieu. Trois francs cinquante, s’il vous plaît.

« Oh ! Quand j’entends chanter Noël J’aime revoir mes joies d’enfant » C’était le marché de Noël sur la place principale. Pendant la nuit, on avait installé des petites cabanes en bois. Les marchands y vendaient leurs bibelots. « Le sapin scintillant, la neige d’argent Noël mon beau le rêve blanc » Konrad m’avait rejoint à Bienne. Tu fais quoi cet après-midi ? J’ai rien à faire. Ce n’est pas le marché de Noël à Bienne ? Il avait l’air émerveillé par une paire de gants en laine. A seulement dix-sept francs. Mais faits à la main. « Oh ! Quand j’entends chanter Noël J’aime revoir mes joies d’enfants » Ces chants commençaient à me sortir par les oreilles. Et puis, trop de monde. On ne peut pas faire deux pas sans se faire bousculer. « Oh ! Quand j’entends chanter Noël J’aime revoir mes joies d’enfants » On a décidé d’aller boire un café chez moi. A contrecœur, je n’avais pas fait le ménage depuis longtemps. Konrad n’allait pas râler pour ça. Sans lait s’il te plaît. Mais du sucre, il t’en reste du sucre ? Parfait. Parler de tout et de rien, Tu sais comment c’est. Boulot, boulot, boulot. Le patron m’a dit qu’il se faisait du souci pour toi. Je lui ai dit que t’allais bien.

C’est mon frère qui frappe à la porte. Entre. Tu veux boire quelque chose ? On ne se dit rien de plus. Quelque part, une voiture démarre. Mon frère a l’air fatigué. Il me demande quels films je passe ces temps-ci. Rien de bon, je réponds. Et je dis aussi : « Tu te souviens, maman disait qu’on est de la poussière d’étoiles. Depuis qu’elle est morte, je n’arrête pas d’imaginer le soleil exploser d’une minute à l’autre. » En silence, mon frère termine son café.

C’est la nuit que je me sens le plus seul. Maman disait que se réveiller un jour de beau temps, c’est être encore endormi. Peut-être qu’un thé m’aidera à dormir. Je me lève. Les cartes de condoléances en tas sur la table. A côté, un paquet de cigarettes. Il est où ce briquet ? J’en allume une deuxième. Depuis la fenêtre, la rue à l’air calme. Sonnerie de téléphone portable. Oui, c’est Konrad. J’appelle pour savoir si tout va bien. J’ai envie de lui dire : « Rien ne va. » N’hésite pas à me rappeler si tu as le moindre problème. On se voit demain au cinéma. Konrad raccroche. Faudra que je pense à acheter des cigarettes.

Sept francs, s’il vous plaît. Deux bières. Deux hommes. L’un me regarde quand il se retourne. Personne d’autre. Konrad est en retard. La patronne du bar vient me présenter ses condoléances. Je réponds. « Merci ». Konrad arrive. S’assied. Commande sa bière. Est-ce que tu sais, Konrad, que la lumière met environ huit minutes à parcourir la distance entre la terre et le soleil ? Est-ce que tu le sais, ça ? Certaines étoiles n’existent plus. On les voit dans le ciel mais elles sont mortes. Est-ce que tu le sais, ça ? Ne reste que la poussière. Plus rien que la poussière. Konrad arrive. S’assied. Commande sa bière. Finalement, je ne dis rien.

Tamisée. Rien d’autre qu’un mince filet. La lumière s’évanouit. Les spectateurs s’assoient en silence. Certains mangent du pop-corn, d’autres sont venus en amoureux. A l’heure précise, le film commence. Sur l’écran, l’acteur dit sa réplique. Pendant ce temps, je suis dans la cabine. Il fait noir et seule le projecteur offre un peu de lumière Applaudissements. La salle se vide. Quand j’éteins le projecteur, l’image disparaît. La bobine se termine. A l’aide d’un simple bouton, il est possible de la remettre au début. Je l’observe se rembobiner. Puis j’allume une cigarette.

Mettre sa veste. Sortir. Et puis marcher. Maman avait raison. Le banc est sale alors je passe ma main dessus. Plus loin, des gosses s’amusent aux balançoires. Nous ne sommes que de la poussière d’étoiles. Et pire, nous ne tenons qu’à un fil. L’œil rivé sur ma montre, je me donne huit minutes de rembobinage. Dans mes souvenirs, maman apparaît rayonnante.