Simultan
Dialogue Clair-obscure
Aus Simultan
Les stores étaient à moitié baissés, les rideaux tirés… La pièce plongée dans le noir. Il y avait un silence presque total, doublé d’une obscurité seulement rompue par la lumière des phares des voitures qui passaient le long de la rue. Cela dessinait des formes étranges sur le plafond de la chambre, accompagné d’un bruit de moteur… Et puis plus rien, de nouveau le noir. Et le silence. Un jeune garçon était allongé sur le lit, les yeux grands ouverts. C’était un lit double, à côté de lui, il y avait une jeune fille aux cheveux châtains qui dormait paisiblement. Il la fixa, regarda son visage. Elle était belle, elle avait l’air si calme, avec sa bouche légèrement entrouverte, ses paupières fermées à travers lesquelles il voyait ses yeux bouger doucement… Elle devait être en train de rêver. Lui, il restait là, il était plus de deux heures du matin, et il n’arrivait pas à dormir. Ils devaient avoir l’air heureux, tous les deux, comme s’ils étaient en couple depuis de longs mois… Ils se seraient rencontrés à l’école, auraient été boire un verre, se seraient rendus compte qu’ils avaient « tant de choses en commun ». Ils auraient vite compris que l’autre était leur âme sœur, qu’ils étaient « faits l’un pour l’autre ». Le bel amour, le grand amour, le vrai amour.
Thomas soupira. Aussi désuettement kitsch était cette vision, il ne pouvait s’empêcher de l’envier, et il se sentait si… Kitschement désuet. Et pourtant… Il avait l’impression que tant de gens pouvaient trouver quelque chose qui y ressemble, à ce cliché, alors pourquoi lui n’y arrivait pas ? Cette fille, elle était gentille… Il avait aimé son sourire, son air charmeur… Il avait adoré voir ses pieds se trémousser au moment où elle avait atteint l’orgasme, avec tout son corps qui se tendait, et ses lèvres qu’elle avait mordues, comme pour s’empêcher de crier, mais en lâchant tout de même un gémissement incroyablement aigu et continu… Son petit pourcentage de dissemblance. Mais il savait qu’il ne la reverrait plus. Il ne savait même pas pourquoi il avait accepté de « dormir » chez elle. Ce n’était pas dans ses habitudes, sûrement avait-il voulu essayer, s’était-il forcé, peut-être était-ce à cause de ce rendez-vous chez le psy…
Une voiture passa, qui éclaira brièvement le plafond. Thomas quitta la jeune fille des yeux et le fixa. Ou plutôt, il fixa un point invisible, quelque part, là-haut, sur ce plafond…
Trop de pensées se bousculaient dans sa tête, un mélange confus d’images, de sons, et de mots. L’image de la jeune fille rousse dont il ne connaissait pas le nom… La sonate pour piano de Beethoven… Le quai de la gare de Bienne, l’odeur des marrons grillés… Cet alcoolique, qu’il voyait, tous les matins… La jeune fille rousse… Ses parents…
Pourquoi pensait-il à ses parents ? Il réalisa soudain qu’il ne leur avait pas parlé depuis un mois et demi, à présent. Il faudrait bien qu’il se décide, un jour ou l’autre, à leur donner des nouvelles… Mais ils n’en avaient pas données non plus… Enfin, pas vraiment… Et puis ce n’était pas à lui de… Pourquoi pensait-il à ses parents ?
L’image de la jeune fille rousse lui revint en tête. Comment s’appelait-elle ? Il se réjouissait de le lui demander. Mais il avait peur aussi que cela casse le mythe, la fascination qu’il avait pour elle depuis l’autre jour.
Est-ce que ce serait la bonne, cette fois ? Est-ce qu’elle, il réussirait à l’aimer ?
Une voiture passa, dont les phares éclairèrent le plafond.
Thomas sursauta. Pendant un instant, il fixa la lumière qui s’effaçait et eut la pensée un peu idiote qu’elle était apparue juste pour lui répondre. Il resta là, sans bouger, comme hypnotisé par cette vision. Alors, il réessaya :
Est-ce qu’elle aussi, elle pense à moi ?
Une voiture passa ! Thomas sentit monter une étrange excitation en lui. Alors, elle pensait à lui ! Il fallait absolument qu’il la rappelle. Oui, il l’appellerait demain.
Est-ce qu’elle m’aime ?
Pas de voiture. Bien sûr, il était trop tôt encore…
Est-ce que la vie a un sens ?
Pas de voiture. Haha, ce serait trop facile… Il ne faut poser que des questions qui ne concernent que nous…
Est-ce que je vais reparler un jour à mes parents ?
Une voiture passa. Thomas soupira.
Est-ce que mes parents pensent à moi ?
Une voiture passa.
Est-ce que…
Il ne put finir cette question-là. Une autre lui vint :
Est-ce que je vais réussir à dormir ?
Pas de voiture.
Est-ce que j’ai fait les bons choix ?
Pas de voiture. Bien sûr, il n’y a pas de bons choix, que des choix à faire. Il regarda la jeune fille aux cheveux châtains, à côté de lui.
Est-ce qu’elle va m’en vouloir, si je pars ?
Une voiture passa.
Est-ce que je peux partir quand même ?
Une voiture passa.
Je suis désolé…
Alors, dans l’obscurité, Thomas ramassa ses habits, et, sans faire de bruit, il les enfila. En quittant la chambre, il jeta un dernier regard sur cette jeune fille qui se réveillerait seule le lendemain matin. Il avait honte, parce qu’il ne se sentait même pas véritablement coupable. Pourtant, elle n’avait rien fait de mal… Rien fait de faux… C’est lui, qui était faux.
Il détourna son regard et sortit dans la nuit.