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L'existence est ailleurs: Unterschied zwischen den Versionen
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− | « C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. »<br>En entendant cette phrase, Thomas Sorel eut un sentiment étrange et indescriptible. Il eut la conviction qu’il était en train de vivre un moment clé de sa vie, un tournant, et il sentit comme une révolution intérieure, un basculement de haut en bas, de droite à gauche.<br>Le vieil homme était resté dans le bar. [[ | + | « C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. »<br>En entendant cette phrase, Thomas Sorel eut un sentiment étrange et indescriptible. Il eut la conviction qu’il était en train de vivre un moment clé de sa vie, un tournant, et il sentit comme une révolution intérieure, un basculement de haut en bas, de droite à gauche.<br>Le vieil homme était resté dans le bar. [[Instants Anodins|Certains n’auraient vus en lui qu’un ivrogne dévasté]]. Thomas le vit comme un prophète.<br>Il était arrivé dans ce bar un soir de décembre, pour se réchauffer, trouver de la compagnie. Il était seul, il allait souvent se promener seul le soir, il ne le restait jamais longtemps. Toujours, il finissait dans un bistrot où il rencontrait tel ou tel inconnu, souvent une jeune fille, à qui il allait glisser deux mots. Parfois ça ne donnait rien. D’autres fois ça marchait, il avait du succès.<br>Ce soir-là, Thomas était allé flâner devant les vitrines des magasins, observant les gens les bras déjà chargés de paquets… La magie de Noël, hein. Ça faisait longtemps qu’il n’y croyait plus. Traînant dans les rues et dans ses pensées, il avait fini dans un bar perdu au fin fond de Nidau… Il n’était jamais allé si loin. L’endroit n’était pas très rempli, et Thomas était surtout entré pour se réchauffer un brin. Il avait commandé une bière.<br>Au comptoir, il y avait un vieil homme, le regard dans le vide, le visage bouffi, le ventre pendant. Il portait une barbe broussailleuse, ses cheveux gris étaient gras et son visage sale. Thomas le fixait, complètement fasciné. Le vieil homme ne lui prêtait absolument aucune attention. Il avait l’air de vivre dans un autre monde.<br>Le jeune homme ne pouvait détacher son regard de cet étrange inconnu, il ne pouvait s’y résoudre. Il y avait quelques autres personnes, mais elles n’avaient aucune importance, pas plus cette trentenaire à la table du fond que le barman qui nettoyait un verre, comme dans un western. Thomas avait l’impression de vivre dans une scène de film, tous les ingrédients étaient là, c’était un début parfait, l’ambiance et le décor étaient posés.<br>Le temps passait, silencieusement, les discussions ne fusaient pas, on entendait juste le son du jukebox qui diffusait timidement du vieux rock des années 60. Thomas finit sa bière cul-sec, en commanda une nouvelle. Le vieil homme était au whisky. Son verre était en tout cas posé sur le comptoir, même s’il ne le portait pas à ses lèvres.<br>Le jeune homme fixa l’inconnu, et à cet instant il eut la sensation étrange que l’homme était en train de pleurer. Ses yeux brillaient, il avait l’air de fixer un point invisible… Rapidement, Thomas comprit : le vieil homme vivait dans sa tête, dans ses souvenirs, dans son passé.<br>Le jeune homme se perdait dans la contemplation de l’inconnu sans nom.<br>- Monsieur, vous êtes triste ?<br>Le vieillard le fixa. Ses yeux étaient couleur du temps.<br>- Triste ? Pourquoi ?<br>- Je ne sais pas, vous avez l’air triste.<br>- Non, ça ne sert à rien.<br>Silence. Le jeune homme s’était approché du comptoir.<br>- Comment tu t’appelles, petit gars ?<br>- [[Souvenir d'enfance|Matheo]].<br>- Matheo, toi, tu es triste ?<br>- Oui et non. Il faut bien vivre.<br>- Ah, vraiment ? Tu crois ?<br>Thomas regarda le vieil homme dans les yeux, sans rien dire.<br>- Non, petit gars, c’est un mensonge.<br>- Alors, quoi ? La vie ne sert à rien ? Vous pensez qu’il faut mourir ? <br>- Bien sûr que non.<br>- Eh bien alors ? On ne peut pas vivre dans sa tête.<br>- Pourquoi pas ? C’est vivre ou cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs.<br>Le jeune homme ne répondit rien. Il laissa peser ces mots à l’intérieur de lui-même. Il but une dernière gorgée de bière, et s’engouffra hors du lieu. Il jaillit du ventre du bistrot, le froid de la nuit le glaça, des larmes coulèrent sur ses joues. <br>Alors, comme sorti d’un autre monde, [[Déambulations|Matheo arpenta la rue plongée dans la nuit.]] |
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Version vom 17. Dezember 2010, 10:51 Uhr
« C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. »
En entendant cette phrase, Thomas Sorel eut un sentiment étrange et indescriptible. Il eut la conviction qu’il était en train de vivre un moment clé de sa vie, un tournant, et il sentit comme une révolution intérieure, un basculement de haut en bas, de droite à gauche.
Le vieil homme était resté dans le bar. Certains n’auraient vus en lui qu’un ivrogne dévasté. Thomas le vit comme un prophète.
Il était arrivé dans ce bar un soir de décembre, pour se réchauffer, trouver de la compagnie. Il était seul, il allait souvent se promener seul le soir, il ne le restait jamais longtemps. Toujours, il finissait dans un bistrot où il rencontrait tel ou tel inconnu, souvent une jeune fille, à qui il allait glisser deux mots. Parfois ça ne donnait rien. D’autres fois ça marchait, il avait du succès.
Ce soir-là, Thomas était allé flâner devant les vitrines des magasins, observant les gens les bras déjà chargés de paquets… La magie de Noël, hein. Ça faisait longtemps qu’il n’y croyait plus. Traînant dans les rues et dans ses pensées, il avait fini dans un bar perdu au fin fond de Nidau… Il n’était jamais allé si loin. L’endroit n’était pas très rempli, et Thomas était surtout entré pour se réchauffer un brin. Il avait commandé une bière.
Au comptoir, il y avait un vieil homme, le regard dans le vide, le visage bouffi, le ventre pendant. Il portait une barbe broussailleuse, ses cheveux gris étaient gras et son visage sale. Thomas le fixait, complètement fasciné. Le vieil homme ne lui prêtait absolument aucune attention. Il avait l’air de vivre dans un autre monde.
Le jeune homme ne pouvait détacher son regard de cet étrange inconnu, il ne pouvait s’y résoudre. Il y avait quelques autres personnes, mais elles n’avaient aucune importance, pas plus cette trentenaire à la table du fond que le barman qui nettoyait un verre, comme dans un western. Thomas avait l’impression de vivre dans une scène de film, tous les ingrédients étaient là, c’était un début parfait, l’ambiance et le décor étaient posés.
Le temps passait, silencieusement, les discussions ne fusaient pas, on entendait juste le son du jukebox qui diffusait timidement du vieux rock des années 60. Thomas finit sa bière cul-sec, en commanda une nouvelle. Le vieil homme était au whisky. Son verre était en tout cas posé sur le comptoir, même s’il ne le portait pas à ses lèvres.
Le jeune homme fixa l’inconnu, et à cet instant il eut la sensation étrange que l’homme était en train de pleurer. Ses yeux brillaient, il avait l’air de fixer un point invisible… Rapidement, Thomas comprit : le vieil homme vivait dans sa tête, dans ses souvenirs, dans son passé.
Le jeune homme se perdait dans la contemplation de l’inconnu sans nom.
- Monsieur, vous êtes triste ?
Le vieillard le fixa. Ses yeux étaient couleur du temps.
- Triste ? Pourquoi ?
- Je ne sais pas, vous avez l’air triste.
- Non, ça ne sert à rien.
Silence. Le jeune homme s’était approché du comptoir.
- Comment tu t’appelles, petit gars ?
- Matheo.
- Matheo, toi, tu es triste ?
- Oui et non. Il faut bien vivre.
- Ah, vraiment ? Tu crois ?
Thomas regarda le vieil homme dans les yeux, sans rien dire.
- Non, petit gars, c’est un mensonge.
- Alors, quoi ? La vie ne sert à rien ? Vous pensez qu’il faut mourir ?
- Bien sûr que non.
- Eh bien alors ? On ne peut pas vivre dans sa tête.
- Pourquoi pas ? C’est vivre ou cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs.
Le jeune homme ne répondit rien. Il laissa peser ces mots à l’intérieur de lui-même. Il but une dernière gorgée de bière, et s’engouffra hors du lieu. Il jaillit du ventre du bistrot, le froid de la nuit le glaça, des larmes coulèrent sur ses joues.
Alors, comme sorti d’un autre monde, Matheo arpenta la rue plongée dans la nuit.