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Il y a une année

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Version vom 7. Januar 2008, 00:09 Uhr von Urs (Diskussion | Beiträge)

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Traduction: deutsche Fassung


Il y a une année, un être est né. Ma femme, mon épouse, ma chère Samia, mit au monde une fille, un concentré de bonheur et de chaleur, de sanglots craquants et d’éclats de sourire.

Je me souviens de cette journée, de cette nuit comme si c’était hier. Il pleuvait, il faisait gris et froid, les enfants (les deux autres, eux qui devenaient d'un coup très grand !) chez grand-maman, le boulot suspendu, une petite promenade au bord de l’Arve (rivière), les arrêts durant les contractions encore irrégulières qui avaient commencé la veille au soir. Les quelques pas sous le parapluie, le squelette des arbres qui se dessinait dans le ciel grisâtre. Le soir, à la maison, Samia marchait à travers l’appartement à chaque montée d’une contraction, s’appuyait sur le dossier d’une chaise, sur le canapé, sur la table de la cuisine, les jambes écartées, elle respirait profondément, respiration contrôlée, jusqu’à ce que la tension diminue, et ceci se répétait pendant des heures, mais les contractions restaient irrégulières, un signe incontournable que le prétravail  n’était pas encore fini et que l’accouchement était encore loin devant nous, tellement loin que nous avions encore bien le temps de préparer et de manger tranquillement une soupe, de nous faire des thés, interrompus par des crispations musculaires, des massages, des exercices de respiration. Je me positionne derrière elle, les bras autour de son énorme ventre que je soutiens avec mes mains. Je sens à quel point il est lourd et tendu et dur jusqu’en bas vers le bassin, comme si cette énorme boule s’était transformée en un vaisseau spatial d’un être en voyage vers la planète terre. Mes mains, mes bras, tout mon corps suit le mouvement de sa respiration, sa respiration qui suit le mouvement de la contraction, un évènement sur lequel elle n’a aucun pouvoir, ni de contrôle, c’est la contraction qui la contrôle, elle, et Samia n’a aucun autre choix que de se laisser faire, de ne pas se braquer, de ne pas se soulever contre cette force qui de toute façon est plus forte qu’elle, plus forte que sa plus forte volonté. Puis on monte à l’étage, je lui fait couler un bain chaud sans savon, rien que de la chaleur, petite lumière douce, petite musique de fond, mais finalement même ça c’est  trop. Je prends une chaise et je suis là à côté d’elle, à côté de ma femme, cet énorme corps couché dans l’eau chaude, ce corps qui se tord et s’étire de temps en temps et je ne peux rien faire d’autre que de la regarder, de voir la douleur croître, son visage presque défiguré, méconnaissable sous la douleur, il me reste cette image de ma femme couchée sur le côté, plongée entièrement sous l’eau, détendue entre deux contractions, à moitié endormie, ce corps qui rempli la baignoire entièrement, des boules et des rondeurs partout, les seins gonflés depuis des mois, les bras, les jambes, même les mains et le pieds me semblent comme de petites balles, des satellites qui gravitent autour de cet énorme ventre qui flotte dans l’eau comme un navire, le corps entier pousse de l’intérieur, prêt à expulser … puis elle se réveille par la douleur d’une nouvelle contraction qui la prend comme une force surnaturelle, comme un sort jeté par un esprit caché, tout se crispe et se tord autour du ventre dur comme de la roche, cette grotte qui se prépare à délivrer l’être qui l’habite, cette petite personne que nous avons déjà vue sur des écrans d’échographies, un être qui reste encore abstrait, à peine imaginable dans cette boule de cristal qui est et qui reste le ventre de Samia, le corps de ma femme. L’idée que la dedans il devrait y avoir un être vivant, une personne, un enfant, ceci reste une pensée à la fois effrayante – du genre « Alien » - et fascinante, le miracle de la vie : comment est-ce possible que par le simple fait que deux cellules se rencontrent, une nouvelle cellule se construit et commence à vivre, à se démultiplier et à suivre tout un programme bien défini qui amène à une vie entière d’une personne qui pense, qui a des sentiments, qui prend des décisions. Comment est-ce qu’à partir de deux minuscules cellules toute une personnalité peut se construire. Où était-elle avant ? Où ira-t-elle après ? Des questions auxquelles – athéiste convaincu que je suis – je n’arrive pas répondre. Le mystère de la vie, de l’incroyable vision de la chaîne du vivant qui se laisse retracer jusqu’au commencement de l’existence de notre terre. Nous sommes là, car cette chaîne n’a pas été interrompu depuis des milliers, des millions d’années – combien de génération y aura-t-il après nous ?

Mais là, le corps de ma femme se tord et s’étire de nouveau dans la baignoire. « Tiens-moi » m’appelle-t-elle pour la sortir de l’eau et qu’elle puisse s’appuyer sur le bord; penchée en avant, elle perd presque conscience tellement la douleur est forte, et à peine a-t-elle repris son souffle qu'elle se tourne vers moi. « Je commence à pousser, je crois que je commence à pousser, aide moi à sortir ! »

Tout est prêt depuis des heures : petite valise avec brosse à dent, dentifrice, pyjama, roman policier, culottes et petits habits tout neuf pour le bébé que nous attendons depuis neuf mois avec impatience. Je prends cette petite valise, prends ma femme sous le bras, appelle l’ascenseur, mais à peine sommes-nous entrés dans ce petit espace en métal qu'une nouvelle contraction la surprend, et Samia tape ces deux mains contre le mur, écarte les jambes, respire à un rythme bien contrôlé, puis profondément, comme la sage femme nous l’a expliqué durant le cours de préparation à l’accouchement. La porte de l’ascenseur s’ouvre, nous sommes arrivés en bas, mais Samia n’arrive pas à bouger ses jambes, reste immobile, les yeux fermés. Je l’appelle, la valise dans ma main bloque la porte qui se ferme automatiquement, mais Samia ne m’entend pas, elle est encore absorbée par la douleur, nous restons là bloqués dans l’ascenseur, dans cette boîte métallique, la valise dans ma main jusqu’à ce que la contraction diminue pee à peu. La voiture est à 100 mètres de la maison. Nous traversons le parc à petit pas, cinq respirations tous les deux pas. « Tiens-moi ! » crie-t-elle tout à coup, se penche en avant, s’accroche à mon manteau, écarte les jambes et commence les respirations bien exercées. Puis elle me lâche.

« Mets-toi derrière moi, tien mon ventre ! » Elle s’appuie sur ses genoux, la voiture est encore à 50 mètres, et je mets mon bras, la valise dans l’autre main, autour de son ventre et je tiens cette boule dans ma main, dans ma petite main de rien du tout. Samia respire bizarrement, se tord. Pas maintenant, s’il te plaît pas maintenant, pas ici, pas dans ce parc !

« Pose cette valise ! » crie-t-elle, « Pose cette putain de valise ! Et tiens-moi ! »

Je m’accroche à la valise comme si, tant que je portais cette valise, rien ne pouvait nous arriver car nous étions toujours sur le chemin vers la voiture, vers l’hôpital. « Pose-la putain ! »

J’ai lâché, j’ai lâché la valise avec  la certitude qu’elle n’accouchera pas ici dans le parc, et je la soutenais avec les deux mains, suivais son rythme de respiration, haut, bas, haut, bas, et puis elle s’était assise sur la valise comme si on pouvait rester là au milieu de ce parc sinistré par la nuit.

« Il faut qu’on y aille ! Viens ! »Je l’arrachai carrément du sommeil.

« Je ne peux pas, je n’arrive plus ! » soufflait-elle et puis, enfin arrivée à la voiture, une nouvelle contraction monta comme une vague, la plia de nouveau en deux juste au moment où j’avais ouvert la porte arrière de la Volvo. Je la poussai dedans et elle se coucha sur le banc. Je fonçai à travers la ville déserte, feux brulés, priorités non respectées, pas maintenant, pas ici, pas dans notre Volvo, s’il te plaît !

La procédure de l’accueil à l’hôpital me semblait interminable. Je répondais à la place de ma femme, nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, pendant qu’elle s’appuyait sur le comptoir, les jambes écartées, en essayant de contrôler la respiration et la douleur, l’envie de pousser.

Et puis, tout se passa très vite : quelques pas, interrompus par des nouvelles poussées, jusqu’à la salle d’accouchement; des linges, échographes et instruments bizarres, deux sages-femmes souriantes, quelques pousséEs déchirantes et les voix des sages-femmes douces qui commentent tous ce qui ce passe pour nous rassurer – ou plutôt pour me rassurer, car Samia est de nouveau complètement plongée dans la douleur de ce processus incontournable qui travail son corps et qui ouvre la voie à cette petite tête qui apparaît.

« Il est là, il arrive ! On voit déjà ses cheveux ! » disent les sages-femmes avec un sourire satisfait, « Il est là, il arrive,  le voilà. » Et voilà qu’elles nous apportent le petit corps encore gris et bleu pour que la maman le couche contre son sein et le couvre avec un linge.

« Montre-toi, t’es une fille ? »

« Oui, c’est une fille ! »