Simultan

Celui du quatrième

Aus Simultan

 Jörg sortait de chez Sven.


Une soirée bien arrosée. Clopes sur le balcon. Pas lui, Sven. Ils avaient écouté Tom Waits très fort dans le salon. Plusieurs fois, des démonstrations vives, du dessous, avaient semblé vouloir crever le plancher. Sven avait ri. Il ne connaissait pas ses voisins, il n’en ressentait pas le besoin. Absence de scrupules exemplaire pour le bruit. Il n’y avait pas eu de limites dans leur conversation, ils s’étaient écharpés à chaque déclaration. Sûrement, plus que la bière, l’ironie et le sarcasme leur étaient montés à la tête.
Jörg sortait de chez Sven, le matin était à son éveil. Sa barbe mal rasée, son teint pâle. Il y avait le ventre, les bajoues presque. Il avait profité de ne pas se laver les dents en même temps que Sven, encore couché quelque part au milieu des détritus du salon. Journaux déchirés. Un reste de jeu dont il n’avait aucun souvenir. Il n’aurait pas supporté de voir son reflet à côté du sien. Il avait pensé à Mathilde, puis il avait vite refermé la porte, en prenant ses cheveux mal coiffés et sa sale tête avec, de l’autre côté. L’euphorie de la nuit lui avait glissé des manches quand il avait enfilé son manteau.
Jörg sortait de chez Sven et s’engagea dans la cage d’escalier. Il connaissait les voisins de tous les paliers, mais pas ce grand gamin, qui ouvrit le battant de la porte du troisième étage. Juste en dessous. Sachet d’ordures à la main. Il ne se serait pas retourné, si une phrase lancée sur le linoléum du couloir ne l’avait pas frappé en pleine face :
« Celui du quatrième, vous devriez parler moins fort, tant qu’à faire le guignol tout seul sur votre balcon. »
Comment? Seul! Il allait lui dire, à ce trop grand blond, fripé de sommeil. Sa bouche s’ouvrait, le garçon avait déjà refermé la porte sur lui et le sac à poubelle. Jörg serra le poing, incrédule. Comment, seul! Déclama-t-il presque, à la porte.
Ce grand noiraud qui s’accrochait à la balustrade de son balcon, répondant au nom de Sven, c’était de l’air, peut-être?! Celui qui répandait ces cendres et ses mégots sur leurs têtes à eux, les voisins, chantait des chansons paillardes à deux heures du matin, avec ce rire dans la gorge, qui lançait des avions en papiers, avait préparé la paella... Celui qui.
Il était sorti du bâtiment, mais il gardait le souffle coupé par la déclaration du gamin. Il se retourna, jeta un oeil sur le balcon, malgré lui. Personne. Normal, Sven se douchait, Sven dormait, faisait un café. Bon sang, il n’allait pas douter de lui pour un simple gamin, c’était déjà trop! Mathilde qui voulait l’amener chez un psy et maintenant ce garçon qu’il n’avait jamais vu le traitait de fou. Depuis quand est-ce que ce les voisins avaient un fils, d’ailleurs?! D’où venait ce guignol, avec son air à deux airs!

Casse-toi tu pues... et marche à l’ombre!

Jörg revint sur ses pas pour regarder l’étiquette de la boîte aux lettres. Richter. Il lui semblait qu’ils s’étaient mariés cette année. Il avait envie de rire. De plus en plus vaincu par une paranoïa sombre. Il s’interdit de remonter l’escalier. Que ce garçon soit sorti d’une boîte de polichinelle ou du néant, il s’en fichait. Si Sven n’était pas au balcon, il s’en fichait. S’il n’avait jamais vu Sven sortir de chez lui...
Reprends-toi, tu sors de chez Sven, enfin! Sinon qui habiterait là? Une folie, une paranoïa, un souffle, une solitude. Jörg eut envie de se recoucher. D’écouter du Tom Waits. Il avait seulement peur de cette conscience, de cette folie qui se déployait comme née d’une phrase que l’on balançait sur le linoléum.