Simultan

Le grand voyage

Aus Simultan

Version vom 14. Januar 2011, 09:31 Uhr von Pabloj (Diskussion | Beiträge)

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 Mme Hagebutten s’alluma une cigarette. Assise à la table, elle regardait par la fenêtre. La pluie tambourinait sur la voiture, parquée devant l’immeuble.
Elle pensa à Aaron Schmitt et fit une grimace. Le vieux psychologue était particulièrement ennuyant, ces derniers temps. Elle ne l’avait jamais vu aussi perturbé.
Elle éteignit sa cigarette. Elle voulut en prendre une autre, mais le paquet était vide. Elle resta encore assise un moment, puis elle se leva pour s’habiller. Dehors, la pluie s’intensifiait.
Alors qu’elle se peignait devant la glace de la chambre, elle entendit le tonnerre gronder. Ensuite, elle aperçut un éclair. Elle observa le ciel un instant, puis elle retourna dans la chambre. Elle prit son sac à main, vérifia que ses clés s’y trouvaient et sortit de l’appartement.
La portière de la voiture était froide car il avait gelé la nuit précédente. Mme Hagebutten gratta le pare-brise, fit chauffer le moteur et démarra.
Les routes étaient calmes. Et pendant cinq minutes au moins, elle ne croisa aucune autre voiture. Elle alluma la radio, changea de stations plusieurs fois, puis l’éteignit. Elle se gara dans le parking souterrain de l’immeuble. Elle sortit de la voiture et monta dans l’ascenseur. Elle revint sur ses pas car elle avait oublié son sac à main dans la voiture. Elle ne croisa personne jusqu’au troisième étage, où se trouvait le cabinet. Elle savait qu’Aaron Schmitt n’était pas encore arrivé car sa voiture n’était pas à sa place dans le parking. Elle entra dans le cabinet, enleva son manteau et s’assit à son bureau. Au moment où elle s’apprêtait à allumer l’ordinateur, le téléphone sonna une seule fois, ne laissant pas le temps à Mme Hagebutten de répondre. Elle pensa à un faux numéro et elle alluma son ordinateur. Elle regarda sa montre. Pour première fois, Aaron Schmitt était en retard. A ce moment précis, Mme Hagebutten sut qu’il s’était passé quelque chose. Elle appela au domicile du vieux psychiatre, même si celui-ci lui interdisait de le faire, mais personne ne répondit. Alors, Mme Hagebutten se dit qu’Aaron Schmitt était certainement en route. Mais cela ne la rassura pas du tout. Elle sentit la panique monter en elle. Elle faillit tomber de sa chaise lorsque la sonnerie du téléphone retentit une seconde fois. Déboussolée, elle répondit et dit d’une voix faible :
- J’arrive tout de suite.

Il était allongé là, sur le lit. Il n’avait pas changé mais était si différent. Elle le voyait pour la première fois sans lunettes. Depuis un coin de la chambre, elle l’observait.
Il avait un tuyau qui lui entrait dans les narines et une perfusion sur le poignet gauche. A côté de lui, un appareil bleu indiquait des mesures mais Mme Hagebutten ne savait pas à quoi elles correspondaient. Il était vêtu d’une blouse blanche, et à cet instant, la réceptionniste avait déjà oublié le vieux costume de tweed brun qu’il portait souvent. Elle ne se souvenait que de la cravate de la même couleur.
Il lui semblait être assise là depuis une éternité.
Pourtant, après le téléphone de l’hôpital, elle n’avait pas appelé les patients pour les informer. Elle s’était précipitée jusqu’à sa voiture. Elle était arrivée à l’hôpital en transpiration, avait soufflé un instant et s’était rendue à la réception où quelqu’un lui avait indiqué le numéro de chambre. Elle avait hésité à y entrer, de peur qu’en ouvrant cette porte, tout serait changé à jamais. Mais elle l’avait ouverte.
Et depuis, elle était assise dans un coin de la chambre, après qu’un médecin lui ait demandé de patienter. Elle observait le vieux psychiatre, dont le respirateur artificiel gonflait les poumons d’oxygène d’un rythme lent.
Le médecin revint dans la chambre, peut-être au bout d’une heure. Il observa l’appareil bleu un instant, nota quelque chose sur une feuille et demanda à Mme Hagebutten de patienter encore. Il s’en alla à nouveau.
Alors, Mme Hagebutten se mit à réfléchir, à des choses qui n’avaient aucun sens à ce moment. Elle pensa à la pluie qui tombait sur la voiture et à cet appel téléphonique qui n’avait sonné qu’une seule fois. Pendant un instant, elle ressentit une peur terrible, celle de n’avoir pas répondu à un appel au secours. Et ensuite, elle se sentit bête car c’était sûrement un faux numéro.
Un autre médecin revint dans la chambre et cette fois-ci, il referma la porte derrière lui. Il prit une chaise, la plaça en face de Mme Hagebutten et la regarda dans les yeux. Puis, il dit :
- Mme Hagebutten, je vous remercie d’être venu. Monsieur Schmitt n’ayant plus de famille, nous avons jugé que vous étiez la personne à contacter.
Soudain, la réceptionniste eut le sentiment d’avoir toujours fait partie de la vie du vieux psychiatre et malgré les désaccords, les ennuis et les disputes, il n’y avait rien en ce moment qui aurait pu lui prendre ce sentiment.
- Monsieur Schmitt a été victime d’une attaque cérébrale en sortant de chez lui hier soir, repris le médecin. C’est un de ses voisins qui a appelé les urgences. Je vais vous expliquer la situation. Il est maintenant en état de mort cérébrale. C’est à dire qu’il ne vit que grâce à ces appareils qui l’aident à respirer. Dans ces cas-là, lorsqu’il n’y a plus de famille, nous éteignons les appareils afin de permettre au patient de s’en aller. Mais puisque vous êtes là, cette décision vous appartient.
Il ne dit rien de plus. Il posa une main sur l’épaule de Mme Hagebutten, baissa la tête et sortit de la chambre.
La réceptionniste se leva d’un bond. Elle voulut partir à la poursuite du médecin mais elle ne le fit pas. Non, elle ne devait pas. Elle ne devait pas, ne pouvait pas prendre cette décision. Elle n’était que sa réceptionniste, rien de plus.
Elle se rassit, prit une grande respiration et mit sa tête entre ses mains. A ce moment-là, quelqu’un frappa à la porte et Mme Hagebutten se redressa.
Un petit homme, vêtu d’un costume noir entra dans la pièce. Il était très vieux. Lorsqu’il vit Mme Hagebutten, il sourit et s’assit en face d’elle.
- Vous devez être Mme Hagebutten, dit-il. Laissez-moi me présenter, Maître Goldschmidt, notaire et avocat. Je m’occupais des papiers du Dr. Schmitt.
Il se rassit plus confortablement, jeta un coup d’œil au vieux psychiatre et dit :
- Quelle tragédie ! Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien faire. Mme Hagebutten, si je suis ici, c’est pour vous donner ceci.
Il ouvrit sa mallette pour en sortir une grande enveloppe jaune qu’il tendit à la réceptionniste.
- Qu’est-ce que c’est ? dit-elle
- Une lettre pour vous, de Monsieur Schmitt. Il me la donné il y a une semaine, peut-être sentait-il la fin proche. Il m’a chargé de vous la remettre lorsque cela arriverait.
Mme Hagebutten prit l’enveloppe en le regardant dans les yeux, il souriait maladroitement.
- Je vais vous laisser seule, dit-il. Prenez tout le temps qu’il vous faut.
La réceptionniste regarda l’enveloppe. Son nom était écrit dessus et elle reconnaissait très bien l’écriture fine et régulière du vieux psychiatre. Elle l’ouvrit.

« Chère Mme Hagebutten,

Lorsque je m’en irai, et que je rejoindrai les bras de Dieu, peut-être pourrais-je lui faire entendre mes prières, celles qui vous demandent de me pardonner.
Car lorsque l’on sent venir la mort, rien n’a plus d’importance que de demander pardon aux gens que l’on aime, pardon pour le mal que l’on a pu leur faire.
Ma lâcheté m’a empêché de vous le dire en face. Donc je l’écris, mais sachez que je le pense de tout mon cœur, et que je me n’adresse plus à vous en tant que Docteur, mais en tant qu’égales.

Avec mon respect le plus profond,
Aaron Schmitt »

Mme Hagebutten remit la lettre dans son enveloppe, se leva et essuya ses larmes. Elle resta un instant debout, le regard fixé sur un point invisible. Quelques minutes plus tard, Maître Goldschmidt entra dans la chambre et vit tout de suite les larmes.
Il posa sa main sur l’épaule de Mme Hagebutten. Ensuite, ils s’assirent tous les deux.
- Monsieur Schmitt vous lègue tous ses biens, dit le notaire, ainsi que son cabinet. Il n’a demandé qu’une seule condition : que vous alliez fleurir sa tombe Annie de temps en temps. Bien, je vous laisse pour de bon cette fois.
Et le notaire s’en alla comme il était venu, laissant Mme Hagebutten à nouveau seule. Celle-ci appela le médecin et lorsqu’il vint, elle lui dit :

- Vous pourrez débrancher les appareils. Mais avant, laissez-moi encore un moment avec lui.